Sceau GODF
Mariane
Livre blanc

Le travail est-il devenu une marchandise comme les autres ?

Respectable Loge, Intersection, Orient de Paris, Région 12 Paris 2

Mots Clefs : Communauté économique européenneCoronavirusDroit du travailKarl Marx

Pour commencer notre chantier de réflexion prospective sur le travail et sur l’avenir des relations professionnelles, dans une économie mondialisée dont la crise du coronavirus a, d’ores et déjà, montré les limites des modèles de production, prenons le temps de considérer si celui-ci est devenu une marchandise comme les autres, c’est-à-dire un objet produit et vendu en vue de parvenir à un bénéfice.

Le travail est d’ordre moral…

Le professeur Paul Durand, principal tenant de la théorie institutionnelle de l’entreprise, estimait que la signification essentielle du droit régissant le travail était d’ordre moral, et que la société moderne n’admettait pas que le travail soit traité comme un bien matériel, soumis à la seule loi du marché. Il insistait sur le fait que les rapports de travail sont soumis à un droit spécial parce qu’engageant la personne du travailleur.

Les travaux de cet éminent juriste sont d’autant plus remarquables du fait qu’ils ont été publiés au sein de la prestigieuse Revue française de science politique en 1957, la même année que fut signé le Traité de Rome instituant la Communauté Économique Européenne.

Pour la communauté économique européenne, le travail passait après l’économie

Ce dernier traitait dans deux titres distincts les questions de la libre circulation des marchandises (Titre I), et celle de la libre circulation des personnes, des services et des capitaux (Titre III). L’article 117 dudit traité prévoyait notamment que : « Les États membres conviennent de la nécessité de promouvoir l’amélioration des conditions de vie et de travail de la main-d’œuvre permettant leur égalisation dans le progrès. Ils estiment qu’une telle évolution résultera tant du fonctionnement du marché commun, qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux […]. »

Dans l’esprit des pères fondateurs de la Communauté Économique Européenne, les questions de politique économique précédaient nécessairement celles de politique sociale. Cette manière de voir n’allait pas sans éluder quelque peu la discussion de l’intégration politique européenne au sens de la solidarité entre les nations, prônée, sept ans plus tôt, par Robert Schuman, dans sa célèbre déclaration du 9 mai 1950.

Crise sanitaire du coronavirus : les ambivalences du travail persistent…

Depuis, au regard de la globalisation des échanges dépassant très largement la seule question européenne, et des révolutions technologiques accélérant la dématérialisation des services, le travail est-il en définitive devenu une marchandise comme les autres ?

L’interrogation est d’autant plus saillante lorsque l’on considère les différentes réponses dernièrement apportées en temps de crise, aussi bien par les différents acteurs économiques que par les États-nations ; l’action des premiers précédant généralement, et sensiblement, celles des seconds…

C’est ainsi que le 27 mars 2020, le gouvernement espagnol décidait d’interdire tout licenciement pendant la pandémie. La ministre du Travail Yolanda Diaz, membre du parti de gauche radicale Podemos, déclarait alors « qu’on ne peut pas utiliser le coronavirus pour licencier ». En France, l’ancienne ministre du Travail, Muriel Pénicaud, lançait au micro de la radio RLT, le 30 mars 2020, un appel aux entreprises : « Ne licenciez pas ! ». Elle les invitait à uniquement mobiliser le dispositif d’activité partielle, encore communément appelé « chômage partiel » dans la sphère des grands médias. En Inde, « l’esclavage fait son retour » titrait le quotidien Le Monde[1], en relevant que pour faire face à la crise, la durée du travail se trouvait relevée à soixante-douze heures !

Partout dans le monde, des milliers de travailleurs étaient remerciés par le truchement de la conférence téléphonique ou de la visioconférence, nouveaux médias déshumanisant ici toujours plus la relation de travail. Car c’est bien de cela qu’il est question : une objectivation du travail toujours plus forte, qui repose de manière signifiante la problématique de son aliénation, si chère à Karl Marx.

Transformation, adaptation, agilité sont en effet devenus les mantras des politiques sociales du « jour d’après ». Mais il n’est pas tant question de l’adaptabilité de la personne du salarié que de son employabilité, c’est-à-dire de sa valeur intrinsèque sur le marché de l’emploi. Celle-ci doit être maintenue, développée, équipée et partant, augmentée. Il faut en effet travailler plus non pas, pour l’heure, pour gagner plus, mais surtout pour produire et consommer plus, pour aider à la relance de l’économie et préserver ainsi un maximum d’emplois.

Paradoxalement, mais conséquemment aux difficultés de production et de gestion des stocks des éléments indispensables à la lutte contre le coronavirus, le Gouvernement réfléchit très sérieusement à déployer une politique de relance aux accents quelque peu protectionnistes, voulant ainsi favoriser une relocalisation industrielle en France de biens jugés essentiels.

Et l’équation s’avère bien loin d’être résolue au regard de l’ensemble des problématiques budgétaires, et du calendrier incertain des différentes réformes qui nécessite pourtant la participation des partenaires sociaux, toujours nettement divisés sur certains sujets tels le dossier retraite.

Au regard de ces éléments, nous pouvons considérer que le travail n’est pas devenu une marchandise comme les autres, mais demeure posée la question ontologique du travailleur dés-objectivé dans un processus (irréversible ?) d’objectivation poussé.

Proposition phare : inscrire la question du travail à l’étude des loges de notre Obédience.

[1] Guillaume Delacroix, « Coronavirus : “L’esclavage fait son retour en Inde”, qui sape son droit du travail », Le Monde, 12 mai 2020.

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